C’était en 1936, dans les années précédant la 2e guerre mondiale. Cela se passe à Paris dans une école du 20e arrondissement, Noël approche, la maîtresse a promis aux enfants des poupées pour récompenser les élèves qui ont bien travaillé. Celles-ci seront distribuées par ordre de classement.
Marie a 6 ans, elle a tellement envie de la poupée à la robe en soie rouge vermillon qu’elle travaille avec application pour arriver la deuxième de la classe. Voici le jour tant attendu, la poupée à la robe rouge est là, exposée sur le bureau. La maîtresse appelle la première qui vient choisir sa poupée, Marie attend son tour, mais la maîtresse appelle la troisième. Marie lève le doigt, elle a le coude posé sur sa table car à l’époque on n’a pas le droit de lever le bras en l’air. Elle attend dans cette position, sa table est juste en face du bureau puisqu’elle est deuxième. La maîtresse l’ignore jusqu’à la fin de la liste. La poupée à la robe rouge a été choisie par une autre.
« Mademoiselle, pourquoi levez-vous la main ? »
« Madame, vous ne m’avez pas appelée, j’étais la deuxième ».
Et Marie a droit à la poupée qui reste...
Dans la cour de récréation, Marie est acculée contre le mur, les filles de la classe se tiennent par la main, elle ne peut s’échapper, celles-ci forment une barrière, elles avancent, reculent comme une vague en chantant ...Franceschini... chini... chignon... sale macaroni...retourne en Italie... va voir ton Mussolini...
La ritournelle chantée avec des voix enfantines flotte sur la cour de récréation, mais la maîtresse n’entend pas, elle ne voit pas non plus...
Ma mère a 88 ans, elle n’a pas oublié ; beaucoup de choses s’effacent, mais pas ça.
Quatre-vingt-deux ans plus tard, pour Noël, nous lui avons offert une poupée avec une robe rouge et j’ai peint son portrait avec la poupée.